PANORAMA DE LA SITUATION DES MINEUR·ES VICTIMES D’EXPLOITATION SEXUELLE EN FEDERATION WALLONIE-BRUXELLES


CONTEXTE

Selon les Nations Unies, plus d’un tiers du nombre total de victimes de traite des êtres humains détectées sont des enfants. Dans les pays à hauts revenus, l’exploitation des mineur·es est majoritairement sexuelle (72%). Récemment, plusieurs études parues en France font état de statistiques préoccupantes, indiquant notamment que 15.000 mineur·es accueilli·es par l’aide sociale à l’enfance seraient concerné·es par l’exploitation dans la prostitution.

En Belgique, peu de chiffres sont disponibles sur cette problématique, que ce soit au niveau fédéral ou au niveau Communautaire. Cette étude a pour but de dresser un panorama de la situation des mineur·es victimes d’exploitation sexuelle en Fédération Wallonie-Bruxelles (FWB).

METHODES

Étant donnée l’absence de statistiques fiables au niveau belge, l’étude présentée ici s’appuie sur une revue de littérature couplée à des entretiens individuels et des entretiens en groupe. Les entretiens ont été menés auprès de professionnel·les issu·es des secteurs associatif, institutionnel relevant de la FWB (Aide à la Jeunesse, enfance, psycho-médico-social), de la Justice.

Ces répondant·es ont été interrogé·es sur leur expérience de terrain et les obstacles potentiels qu’ielles rencontraient dans la détection, la prise en charge et l’accompagnement des victimes d’exploitation sexuelle. Par ailleurs, une enquête quantitative a permis à 81 personnes travaillant dans des centres psycho-médico- sociaux, de planning familial et de prise en charge des violences sexuelles de s’exprimer quant à leurs capacités de détection et d’orientation des victimes mineur·e·s. Les données qualitatives ont été analysées de manière inductive tandis que les données quantitatives de l’enquête ont fait l’objet d’une analyse de statistiques descriptive.

PRINCIPAUX RESULTATS

  •  Les données disponibles sur les victimes mineur·es d’exploitation sexuelle sont alarmantes alors même que ces données sont incomplètes puisqu’un recensement systématique manque cruellement dans tous les secteurs concernés (police, justice, secteur associatif et institutionnel de la FWB). Les raisons principalement invoquées pour justifier cette situation sont : 1) un manque d’effectifs et de formations pour détecter et recenser les cas ; 2) des difficultés liées à l’application des règlementations de protection des données ; 3) ainsi qu’un manque de méthodes systématiques de recensement (alors que des outils existent.
  • Le Covid-19 a précarisé et isolé les mineur·es pour qui les risques d’être victimes d’exploitation sexuelle ont ainsi augmenté étant donné que le recrutement s’effectue de plus en plus via les réseaux sociaux. Depuis la pandémie, on constate également le recours à des moyens plus dissimulés d’exploitation dans la prostitution (ex. locations privées) ; ce qui en a augmenté l’invisibilité.
  • Il n’existe pas de « profil type » lorsqu’on parle d’exploitation sexuelle de mineur·es. Tous les genres, orientations sexuelles, classes sociales sont concernés. Bien que les filles semblent particulièrement vulnérables à l’exploitation dans la prostitution, les mineur·es LGBTQIA+ et garçons victimes ne sont probablement pas suffisamment détecté·es. Il est avancé par les répondant·es qu’une typologie des victimes d’exploitation pourrait être contre-productive dans la détection des cas et qu’il serait plus utile de se concentrer sur les facteurs de risque et les signes d’exploitation sexuelle. Selon nos répondant·es, les mineur·es étranger·es sont particulièrement vulnérables face à ce phénomène et sont encore plus exposé·es aux risques d’exploitation sexuelle depuis la crise d’accueil. En revanche, pour l’instant, leur signalement est en
    baisse.
  • La littérature et nos entretiens ont révélé une forme de comportement prostitutionnel chez certain·es mineur·es, qui, manipulé·e·s, adoptent des discours de banalisation de la prostitution et de sentiment de contrôle de leurs pratiques. Cet embrigadement rend particulièrement complexe l’accompagnement de ces jeunes.
  • Les acteur·ices de terrain indiquent que les obstacles principaux qu’ielles rencontrent dans leur prise en charge des situations d’exploitation sexuelle sont : 1) un manque de formation sur la détection des cas 2) une inadaptation des procédures de protection actuelles pour les victimes belges d’exploitation sexuelle 3) ainsi qu’un manque général de priorisation du phénomène par les pouvoirs publics.

RECOMMANDATIONS

EN FAIRE UNE PRIORITE ABSOLUE

  • Lutter contre l’exploitation et la traite des êtres humains doit être une priorité absolue à tous les niveaux de pouvoir.
  • S’assurer d’une cohérence entre les niveaux de pouvoir dans la lutte contre l’exploitation sexuelle des mineur·es, notamment en intégrant les résultats du travail de la Commission traite du Parlement fédéral (parus le 08/03/23).
  • Placer l’intérêt de l’enfant et ses droits au centre de toutes les démarches entreprises dans le but de le·la protéger contre l’exploitation sexuelle. Cela signifie notamment que les mineur·es doivent pouvoir bénéficier d’un soutien et d’une aide continus, auxquels l’accès ne soit pas complexifié par des questions de compétences ou de mandats.

PERMETTRE LA COLLABORATION EFFECTIVE

  • Encourager une coordination et une coopération solides entre les professionnel·les travaillant pour lutter contre la traite des êtres humains (au niveau fédéral) et de l’Aide et de la protection de la jeunesse (dévolues au niveau des communautés).
  • Établir des canaux de communication entre toutes les structures pouvant faire face à des cas d’exploitation sexuelle et de traite chez les mineur·es (plateforme de collaboration).
  • Encourager la création d’un point focal exploitation et traite dans tous les secteurs pertinents en Belgique francophone (Police, Justice, Aide à la jeunesse).

RECOLTER ET COMPILER DES DONNEES ET STATISTIQUES

  • Créer des outils de recensement ou améliorer les méthodes de recensement des cas suspectés ou avérés d’exploitation sexuelle au niveau de la Police, de la Justice, de l’Aide à la jeunesse et des associations de terrain.
  • Concevoir un système statistique complet et cohérent sur la traite des êtres humains, regroupant des données fiables provenant de tous les acteur·ices clés, qui peuvent être ventilées par sexe, âge, type d’exploitation, pays d’origine et/ou destination, etc . La création de ce système devrait être accompagnée de toutes les mesures nécessaires pour assurer le respect du droit des personnes concernées à la protection des données à caractère personnel, notamment via une anonymisation.
  • Conduire des études de plus grande ampleur auprès du public à risque grâce à des moyens humains et de temps adaptés.
  • Conduire davantage de recherches sur les impacts et les formes prises par l’exploitation sexuelle des garçons et des mineur·es LGBTQIA+.

RENFORCER LA FORMATION

  • Rendre obligatoires les formations sur l’exploitation sexuelle et la traite des êtres humains pour les acteur·ices de première ligne (police, Justice, associations de terrain) ET les travailleur·ses dans tous les services de l’Aide et la protection de la Jeunesse et liés à la prise en charge de mineur·es en danger. Ces formations devraient notamment aborder les formes d’exploitation moins connues ou moins détectables (chez les garçons, uniquement en ligne, communautaires, etc.) pour augmenter et améliorer la détection, l’orientation et la prise en charge. Elles pourraient être organisées en collaboration avec les acteur·ices de terrain concerné·es (centres spécialisés, Esperanto, PAG-ASA, ECPAT Belgique…). Un format en ligne pourrait être envisagé pour une plus grande accessibilité.
  • La détection et l’identification restent un problème en raison d’un manque d’expérience et de connaissances sur le terrain. Chaque autorité compétente en la matière, notamment le ministère de l’Intérieur pour la police, les gouvernements communautaires pour l’Aide à la jeunesse, doit mettre en oeuvre la recommandation du Comité des droits de l’enfant des Nations Unies de « dispenser systématiquement aux agents de la force publique, aux gardes-frontières, aux fonctionnaires et aux travailleurs sociaux et sanitaires , une formation pour l’identification et l’orientation des enfants victimes de la traite » . La réglementation existante, notamment la circulaire du 23 décembre 2016, doit être effectivement mise en œuvre.
  • Donner accès à tout·es les acteur·ices de première ligne au sein et à l’extérieur du milieu de l’enseignement et des PMS des outils pour les aider à aborder de manière adaptée les questions de sexualité avec les mineur·es et améliorer leurs connaissances quant aux signes d’exploitation.

RENDRE LA PROCEDURE TRAITE REELLEMENT PROTECTRICE

  • Accorder aux mineur·es victimes de traite un permis de séjour sur la base de l’examen et la prise en compte de leur intérêt supérieur,non de leur volonté ou de leur capacité à couper contact avec leurs exploitant·es.
  • Supprimer l’obligation légale pour les mineur·es de coopérer avec les autorités dans le cadre des procédures pénales contre les exploitant·es présumé·es et ainsi mettre en œuvre le droit international notamment la Directive européenne 2011/36.

CREER UN CADRE SPECIFIQUE A L’EXPLOITATION SEXUELLE

  • Adopter et faire connaitre des acteur·ices concerné·es un protocole d’orientation, de prise en charge et d’accompagnement des mineur·es victimes d’exploitation sexuelle (distinct de la procédure traite des êtres humains).
  • Etudier l’opportunité de créer un service d’hébergement et de prise en charge dédié exclusivement aux mineur·es victimes d’exploitation sexuelle en FWB, hors procédure traite.
  • Créer une ligne d’écoute accessible aux personnes en lien avec des mineur·es vulnérables pour obtenir des avis ou conseils sur une situation rapidement.
  • Conduire une étude longitudinale (qui consiste à recueillir régulièrement des informations d’un même groupe d’individus dans la durée) avec des mineur·es en processus de désembrigadement au sein d’une structure spécialisée pour mieux comprendre les facteurs de résilience.

VEILLER A METTRE EN ŒUVRE DES PROCEDURES ADAPTEES

  • Appliquer systématiquement les dispositions de la Directive européenne sur la lutte contre l’exploitation sexuelle et l’abus sexuel des mineur·es en matière de Justice adaptée aux enfants (enregistrement audio-visuel, formation du personnel, etc.) et informer les mineur·es du développement de la procédure.

LUTTER CONTRE L’EXPLOITATION SEXUELLE EN LIGNE

  • Rendre obligatoire, et assorti de sanctions, pour les fournisseurs Internet et gestionnaires de sites web, de bloquer et/ou signaler tout matériel d’abus sexuel sur mineur·es de manière proactive et sans attendre une requête de la police.
  • Adopter des protocoles nationaux et renforcer la coopération avec les plateformes de location comme Airbnb et Booking.com, ainsi que de réseaux sociaux comme Snapchat, TikTok et Instagram.
  • Renforcer les formations de tous les professionnel·les en contact avec des jeunes sur l’utilisation des réseaux sociaux et les risques liés à l’usage d’Internet dans le contexte de l’exploitation sexuelle de mineur·es, y compris pour les mineur·es eux·elles-mêmes et leurs parents.
  • Adopter des outils plus performants pour les enquêtes virtuelles/infiltrations virtuelles dans la Police.

INFORMER ET SENSIBILISER

  • Créer du matériel de sensibilisation réaliste sur base de témoignages de mineur·es, reprenant les codes de langage, vestimentaires et lieux fréquentés, mettant en scène des situations d’embrigadement dans de l’exploitation sexuelle et de perte de contrôle . Ce matériel devrait permettre de réellement comprendre les processus d’embrigadement.
  • Employer les réseaux sociaux les plus utilisés (privilégier Snapchat, Instagram et TikTok) ainsi que des outils actuels (influenceur·se, live…) pour véhiculer des campagnes d’information destinées aux mineur·es.
  • Mettre en place des campagnes de sensibilisation en différentes langues sur les droits fondamentaux de mineur·es victimes de traite dans des lieux qui leurs sont accessibles.

PROTEGER D’UNE MANIERE ADAPTEE LES MINEUR·ES EN MIGRATION

  • Réviser la procédure d’évaluation de l’âge afin qu’elle soit conforme aux droits de l’enfant, notamment en mettant en œuvre les recommandations précises portées par la société civile, pour éviter autant que possible que des mineur·es injustement déclaré·es majeur·es soient privés de la protection dont ielles auraient besoin et qui contribuerait à prévenir l’exploitation sexuelle.
  • Tou·tes les mineur·es doivent, indépendamment de leur statut et sans obligation de s’enregistrer, pouvoir bénéficier d’une structure d’hébergement inconditionnel, de nourriture, d’un accès à l’éducation et d’un accompagnement adapté, autant de mesures indispensables pour prévenir l’exploitation.
  • Renforcer les formations des travailleur·ses de rue et des institutions de prise en charge des mineur·es en migration sur la procédure traite des êtres humains.
  • Systématiser les formations sur la traite à destination des tuteur·ices et avocat·es et les actualiser régulièrement tant au niveau du contenu que des contacts utiles.
  • Créer un groupe spécial de tuteur·ices et avocat·es expérimenté·es sur cette thématique qui pourraient être affecté·es aux mineur·es potentiellement victimes de la traite et servir de groupe de référence aux autres professionnel·les confronté·es à ces cas.
  • Mettre en oeuvre l’obligation de signaler la disparition d’un MENA ou d’un·e mineur·e en migration par les centres d’hébergement des mineur·es en demande d’asile.