Derrière une étroite fenêtre, les mythes de la prostitution estudiantine

Capture d’écran du site officiel de la campagne stop prostitution étudiante.

Derrière une étroite fenêtre, encadrée de néons rouges, une jeune fille à l’air studieux semble absorbée par sa lecture. Pourtant, sa chambre, typique de celle d’une étudiante, donne sur la rue comme le ferait une carrée de prostitution.

« Chaque année, plus de 6000 étudiantes se prostituent. Des alternatives existent. » C’est le message scandé par la campagne de sensibilisation contre la prostitution estudiantine, lancée par Isabelle Simonis (ministre de la Jeunesse et des Droits des femmes de la Fédération Wallonie-Bruxelles) conjointement avec Jean-Claude Marcourt (ministre de l’Enseignement supérieur). Face à la banalisation de ce phénomène, la campagne sera diffusée dans plusieurs lieux clés de l’enseignement supérieur, en Wallonie et à Bruxelles. Elle s’accompagne d’un site web rassemblant un certain nombre d’informations sur la prostitution étudiante et proposant plusieurs mécanismes de soutien.

Ce phénomène, effectivement en nette augmentation, est bien souvent lié à une précarité et à un isolement social. Le lien entre étudiantes et potentiels clients se fait, le plus souvent, par le biais des nouvelles technologies (internet, applications de rencontres, etc.). L’une de ces plateformes a d’ailleurs fait parler d’elle il y a quelques mois seulement, avec son slogan « Romantique, passion et pas de prêt étudiant, sortez avec un sugar daddy/sugar mama ». Sur la version française du site Richmeetbeautiful, il nous est expliqué que « RichMeetBeautiful consiste à créer votre vision de la vie, à définir vos objectifs et à bien sûr, définir les conditions de votre relation. Vous et la personne correspondant à vos critères, avez le courage et la liberté d’être ouverts et honnêtes pour définir votre vie, vos conditions relationnelles et votre vision d’une vie enrichissante ».

Derrière ce tableau idyllique se cache une autre réalité : celle d’une relation établie sur un bénéfice matériel, toujours en contrepartie de faveurs sexuelles. Comme en témoigne une usagère du site Seeking Arrangements « on est payées pour les accompagner à des diners [mais] on est aussi là pour les raccompagner à leur hôtel et coucher avec. Etre une sugar baby […] c’est : je me prostitue pour payer mes études avec des mecs assez âgés pour être mon    père ». Non seulement ces « arrangements » comprennent un passage à l’acte quasi-systématique, mais ils sont également loin d’être sans conséquences. L’on estime, en effet, que 62% des personnes prostituées ont subi un viol, que 70% des personnes prostituées ont les mêmes critères de syndrome de stress post-traumatique que les victimes de torture ou encore que le taux de mortalité peut-être près de 12 fois plus élevé chez les femmes prostituées que pour la moyenne nationale.

L’aspect « glamour » diffusé par ces plateformes et sites de rencontre a pour but de faire relativiser la gravité de la pratique par les étudiants. Et pourtant, la prostitution entraine bien souvent des décrochages scolaires, pousse à l’isolement social par crainte de jugement, et peut avoir des conséquences directes sur l’évolution professionnelle et privée des jeunes femmes qui la pratiquent. Plus grave encore, il est démontré qu’elle est une porte ouverte aux violences sexuelles et à l’exploitation, ayant des conséquences désastreuses, autant sur un plan physique que psychologique.

Que dit la loi ?

Là se situe le cœur du problème. En effet, en Belgique, un flou persiste au niveau de l’application des règles en vigueur. Si la prostitution n’est pas illégale en tant que telle, le proxénétisme oui (article 380§1 du Code Pénal). Le racolage est interdit sur base de l’interdiction de l’incitation à la débauche, mais les clients ne sont pas poursuivis. Toutes les infractions prévues à l’article 380§1 sont plus lourdement sanctionnées si la personne est mineure (article 380§4). Au final, on tolère la prostitution mais on ne la légalise pas, chacun interprète la loi à sa guise, sans aucune mesure de protection de droit commun pour les prostituées. L’arsenal législatif, par son refus hypocrite de prendre position, semble vouloir maintenir la vulnérabilité de celles qui pratiqueraient cette activité sans pour autant interdire son existence.

Quelles solutions ?

Le site web de la campagne stop prostitution étudiante redirige les étudiantes confrontées à cette situation vers divers mécanismes d’aide. Ils comprennent notamment plusieurs services spécialisés dans l’accompagnement des personnes en situation de prostitution, des services de santé, des liens vers des plateformes d’emploi étudiant ainsi qu’un répertoire des aides financières disponibles.

Néanmoins, l’enseignement supérieur en Belgique reste parmi les plus inégalitaires de l’OCDE. Renaud Maes explique : « il arrive souvent que les parents gagnent trop pour que l’étudiant obtienne une bourse et pas assez pour subvenir à tous les besoins. Par ailleurs, nombre de bourses sont liées aux performances académiques, or la réussite dans les études est fortement influencée par l’origine sociale, les plus démunis étant particulièrement menacés par l’échec : lorsque cet échec signifie la suspension ou la suppression de l’aide, ils et elles se retrouvent dans une situation particulièrement fragile. Les jobs étudiants ne sont pas forcément suffisants pour faire face aux différentes factures. La fermeture croissante de l’Université aux aberrations statistiques, c’est-à-dire aux pauvres, aux étrangers et aux plus de 25 ans renforce les barrières économiques et culturelles de l’accès aux études ». Il souligne également le rôle joué par les perceptions traditionnelles de la prostitution estudiantine, fortement colportées par les sites comme Richmeetbeautiful. D’après eux, les jeunes filles vendraient leur corps afin de réaliser des achats superficiels et frivoles, d’améliorer leur train de vie. Pourtant, « ces représentations sont complètement en décalage avec la réalité prostitutionnelle, qui s’inscrit bien dans une forme de misère si ce n’est économique, à tout le moins sociale […]. La prostitution en général se base sur la marchandisation du corps et de la personne et sur la domination masculine qui structure nos sociétés, les deux phénomènes se renforçant pour instituer des êtres humains de seconde zone, des femmes en majorité, servant d’exutoire aux hommes ».

Sensibiliser les étudiantes aux risques liées à la prostitution est une intention louable. Cependant, une telle prévention demeure stérile si elle ne s’accompagne pas de mesures concrètes pour annihiler, à la racine, les raisons poussant ces jeunes femmes à se prostituer. Il est vital de mettre en place des aides plus individualisées, adaptées, et systématiques, afin de prévenir plutôt que d’avoir à guérir les diverses conséquences de la prostitution estudiantine.

Emmanuelle Vacher pour ECPAT Belgique