« Messenger Kids », un jeu d’enfants ?

Un enfant de six ans pourra à présent disposer de son propre compte Messenger, application de messagerie mobile de Facebook. En décembre dernier, le géant des réseaux sociaux, a annoncé le lancement d’une version de cette application uniquement destinée aux enfants.

 

Elle est présentée comme un moyen de communication sécurisé, géré par les parents, et se dote des mêmes fonctionnalités que la version pour adultes (messages, GIFs, stickers, appels vidéo ou audio, filtres…) à l’exception des achats et transactions financières. Les parents seraient susceptibles de gérer, pour leurs enfants, l’ajout d’amis, le temps passé sur l’application et le contenu du compte. Facebook assure que le service ne contiendra aucune publicité et ne collectera que peu de données sur ses utilisateurs. Les comptes Messenger ne seront associés à aucun compte Facebook dans la mesure où ceux-ci restent interdits aux enfants de moins de treize ans (bien qu’il soit très simple de contourner cette règle, on estime qu’en 2011 7,5 millions d’utilisateurs étaient en deçà de la limite d’âge autorisée).

 

Cela fait longtemps que Facebook, comme beaucoup d’autres créateurs de réseaux sociaux, espère s’approprier le public de l’enfance. Selon Recode, de nombreux employés travaillent en permanence au développement de produits et services spécifiquement destinés aux moins de 13 ans. En effet, les enfants entre 6 et 12 ans restent « un marché à conquérir » puisqu’aux Etats-Unis, il est estimé que 90% d’entre eux ont accès à une tablette ou un smartphone, et que 66% disposent de leur propre appareil. En déclenchant une habitude de consommation « sociale » dès le plus jeune âge, Facebook peut être quasi-certain de s’attirer une clientèle fidèle une fois le passage de la barre symbolique des 13 ans.

 

Il est, théoriquement, impossible pour un inconnu de rentrer en contact avec un enfant puisque ce sont aux parents que revient le contrôle de la « liste d’amis ». Pour autant, les parents ne pourront pas s’immiscer dans la vie privée des enfants en accédant directement à leurs conversations. Alors quid des contenus violents, perturbants ou du harcèlement ? Facebook répond par une équipe de modérateurs humains ainsi que par une « option de signalement » qui, une fois activée, permet de faire remonter l’incident aux équipes techniques et de prévenir les parents. Et pourtant, lorsqu’on regarde les prédécesseurs, comme YouTube Kids, il semble que la mission de protection ne soit pas si aisée à remplir. De la même manière, il a été démontré à plusieurs reprises que si un jeune ou un adulte mal intentionné décide d’intimider un autre enfant, des outils comme Messenger Kids lui faciliteront grandement la tâche (sans qu’aucun contrôle sérieux ne soit exercé sur ce type de menaces, puisqu’elles ne sont pas comprises dans les algorithmes traditionnels).

 

Si cette application est, pour l’instant, réservée aux Américains détenteurs d’Iphones, les concepteurs espèrent bien en étendre le champ d’action. Pour autant, Facebook n’est pas le seul réseau à poser problème dans le cadre de son utilisation par les enfants. Snapchat, particulièrement populaire auprès du jeune public, a notamment été fortement critiqué pour sa fonction « localisation » lancée l’été dernier. Il est par ailleurs intéressant de constater que les fondateurs des grands réseaux sociaux sont, bien souvent, les premiers à s’en détourner. C’est par exemple le cas de Chamath Palihapitiya, ayant travaillé comme vice-président en charge de la croissance de l’audience de Facebook qui déclare que « cette merde sape les fondamentaux du comportement des gens. Je pense que nous avons créé des outils qui déchirent le tissu social ». Ces propos revêtent un intérêt supplémentaire lors de la réflexion autour de la construction sociale chez les jeunes. Entre autres, le terme « amis » utilisé par Facebook dissocie le sens du mot de celui qu’il incarne dans la réalité, créant des contrastes saisissants à même de déstabiliser les plus jeunes.

 

Enfin, il semble important de rappeler qu’en dehors des dangers liés à l’usage d’une interface connectée, il existe des conséquences physiques à l’accès aux écrans chez les enfants et les adolescents (il est d’ailleurs recommandé de ne pas donner d’accès à internet avant l’âge de 9 ans). ECPAT Belgique rappelle également que l’utilisation précoce des médias sociaux est une porte ouverte à des risques d’abus voire d’exploitation sexuelle, notamment dans le cas du sexting et du grooming. Pour autant, il ne faut pas diaboliser les nouvelles technologies. Il est seulement vital d’apprendre à les utiliser avec parcimonie, de manière adaptée et sécurisée.

Emmanuelle Vacher, pour ECPAT Belgique