Abus et exploitation sexuelle sur mineurs : questionnons les idées reçues

En février 2018, ECPAT International et Interpol ont publié l’étude Towards a Global Indicator on Unidentified Victims in Child Sexual Exploitation Material. Cette recherche, quantitative et qualitative, s’est appuyée sur l’analyse de différents médias représentant l’abus sexuel et/ou l’exploitation sexuelle d’enfants non identifiés sélectionnés dans la base de données d’Interpol[1]. Cette analyse a été complétée par la consultation des autorités et experts responsables de cette thématique.

Les conclusions d’Interpol et ECPAT International remettent en question les conceptions « traditionnelles » de l’exploitation sexuelle et de l’abus sur mineurs. Les recherches indiquent notamment que :

  • Si les victimes sont principalement des filles, les garçons sont, eux aussi, fortement impliqués (31,1% sur les 72,5% des cas où il a été possible d’identifier le genre de la victime). Qui plus est, lorsqu’ils sont victimes, les abus sont plus susceptibles d’être graves et violents. Ces chiffres incitent à s’intéresser davantage à ce groupe dont l’exploitation sexuelle est largement sous-estimée.
  • L’origine ethnique des victimes laisse penser que les enfants blancs[2] souffriraient davantage d’abus ou d’exploitation sexuelle. Pour autant, il est nécessaire de nuancer cette observation puisque seuls 53 pays contribuent à la base de donnée analysée, et qu’ils sont majoritairement des Etats occidentaux.
  • Contrairement à la conception traditionnelle selon laquelle les victimes sont surtout adolescentes, la recherche indique qu’elles sont, en réalité, majoritairement pré-pubères (56,2%). Elle précise également que, plus la victime est jeune, plus l’abus/exploitation est susceptible d’être extrêmement violent.
  • Si la plupart des auteurs sont des hommes, il est néanmoins essentiel de ne pas nier le rôle des femmes (qu’elles soient jeunes ou plus âgées) dans les abus ou l’exploitation perpétrés. Leur implication est extrêmement complexe. Elles peuvent agir comme facilitatrice, comme initiatrice, ou être entièrement responsable de chaque étape de la commission du crime.
  • Il semble que les auteurs aient une préférence pour les victimes appartenant à leur ethnie. Ceci va à l’encontre de la perception habituelle selon laquelle les abus sexuels sont systématiquement commis par des hommes blancs voyageant dans des pays en développement. Pour autant, il est encore une fois nécessaire de nuancer ce constat par le fait qu’il s’agit probablement en partie d’un choix effectué par facilité de proximité.
  • Dans 71,6% des cas, la victime apparaît seule. Ce pourcentage peut être expliqué par la nature confidentielle des agissements, ou par le silence qu’impose l’auteur à sa victime (grooming, manipulations, menaces…). L’identification des enfants victimes est rendue extrêmement complexe par la diversité des moyens facilitant l’abus et l’exploitation. Il est d’ailleurs essentiel de relativiser la distinction entre les moyens hors et en ligne, puisque ces deux sphères sont souvent interdépendantes.
  • Le cas des médias dits « autoproduits »[3] est particulièrement ardu. Il est presque impossible, en les examinant, de déterminer de manière fiable si les médias ont été auto-générés de manière consentie ou non. Cette complexité remet en question la distinction traditionnellement faite entre les matériels représentant l’abus sexuel d’enfants produits par les enfants/adolescents eux-mêmes (comme le sexting) et celui obtenu par la contrainte/sollicitation d’un adulte ou d’un autre enfant. Même si les mineurs semblent produire davantage de matériel à caractère sexuel qu’auparavant, notamment diffusé via les réseaux sociaux, il convient d’améliorer les politiques existantes à ce sujet et de combler le quasi-vide juridique actuel quant à l’(il)légalité de ces matériels. D’ailleurs, Interpol souligne qu’il faut cesser de parler de pédopornographie : la pédopornographie n’est rien d’autre que la preuve par média de la commission d’un crime.
  • Ce rapport et les problèmes d’identification des victimes sont révélateurs d’une autre complexité : celle de la nature juridique des médias, qui floute la frontière entre matériel légal et « acceptable » et matériel illégal. Par exemple, les photos ou vidéos d’enfants mannequins, suggestives ou dénudées, peuvent utiliser la vulnérabilité des enfants comme prétexte pour la production de médias à la limite ou au-deçà de la légalité.

L’étude conclut qu’il n’existe pas suffisamment de ressources pour l’identification des victimes à l’échelle internationale. La coopération interétatique est bien souvent inefficace ou inexistante, et les autorités se focalisent davantage sur l’arrestation des criminels que sur l’identification et la protection des victimes. A nouveau, les conclusions tirées doivent être diffusées avec précaution et ne doivent pas être systématiquement généralisées dans la mesure où l’étude se base sur des données fragmentaires et parfois incomplètes. Pour garantir l’efficacité de la base de données d’Interpol, il est urgent que d’autres Etats la rejoignent et que tous ses utilisateurs soient assidus et exhaustifs quant aux données introduites.

ECPAT Belgique souhaitait tout de même en diffuser les résultats puisqu’ils présentent un intérêt certain afin de mieux comprendre la complexité de la problématique de l’exploitation sexuelle des mineures. En Belgique, les idées préconçues à ce sujet ne manquent pas, notamment celle selon laquelle de tels abus n’existeraient pas ou peu sur le territoire. ECPAT Belgique travaille à sensibiliser les professionnels et le grand public sur cette thématique, et à former les acteurs de première ligne à l’identification. Il est du devoir de tous d’aider à signaler les situations ou comportements suspects[4]. Le combat contre l’exploitation sexuelle des enfants se mène ensemble : il est un enjeu d’aujourd’hui, pas de demain !

Emmanuelle Vacher, pour ECPAT Belgique

[1] International Child Sexual Exploitation (ICSE) image database is a powerful intelligence and investigative tool which allows specialized investigators to share data with colleagues across the world.

[2] Traduit de l’anglais, dénomination reflétant, le plus souvent, une origine caucasienne ou occidentale.

[3] Pour plus d’informations sur l’utilisation de ce terme, voir http://luxembourgguidelines.org/fr/version-francaise/ p.46.

[4] Entrainez-vous à bien les discerner grâce à notre elearning https://ecpat.be/wp-content/uploads/articulate_uploads/ReAct-211/story_html5.html et signalez les abus sexuels à l’étranger via http://jedisstop.be/.